PETE DE THUNES
Pété de thunes est la biographie de Robert PICO.
"On trébuche sur des anecdotes croustillantes. On se cogne souvent à des expressions bourrées d'hormones : Un sacré personnage !"
La Dépêche du Midi.
Robert Pico, l'enfant de Sapiac devenu écrivain, sort un douzième livre intitulé « Pété de thunes » (1). Mais l'auteur rajoute illico dans un franc fou rire «… ou Gainsbourg, Joe Dassin, leurs fiancés et moi ! ». À travers un récit que son éditeur Jean-Marc Savary (Liber-Mirabilis) qualifie de « coup de boule », Robert Pico livre tout simplement un pan autobiographique de son passé dans les fameuses sixties, quand il fut auteur-compositeur-interprète à Paris. « C'est une histoire que je porte en moi depuis 40 ans et qui avait déjà fait l'objet d'un manuscrit que Denis Tillinac avait accepté de publier pour les éditions de La table ronde. Hélas un mois après il démissionnait et son successeur ne goûtait pas aux fictions françaises… » C'est finalement un éditeur audois qui a été séduit par cette « tranche de vie à la Pico », véritable romance vécue. « Modestement je raconte mes anecdotes et mes fréquentations, je me fous souvent de ma gueule. J'avais toutes les chances pour réussir et malgré tout je ne suis pas devenu une vedette. Néanmoins, même si la bringue et les plaisirs étaient mes maîtres mots, je n'ai pas touché ni à l'alcool ni à la drogue et je suis ressorti intact d'un tourbillon qui a tout de même impacté ma vie à jamais. » Fidèle à son style anticonformiste, coloré à souhait et rythmé comme un juke-box des années soixante, Robert Pico nous emmène dans « son » monde en capitale. On y croise Delon, Bardot, Gabin, Mouloudji, Dalida, Perret, Audiard, Mireille Darc ou encore Joe Dassin et des créatures de rêves. On trébuche sur des anecdotes croustillantes. On se cogne souvent à des expressions bourrées d'hormones. On se retrouve parfois nez à nez avec des vérités invraisemblables, ballotés entre des simplicités terriennes et des évasions déjantées qui bâtissent une œuvre miroir de l'auteur : un sacré personnage
La Dépêche du Midi.
LES PREMIERES PAGES DE PETE DE THUNES :
Trois du mat’, nationale 20, pouce en l’air, auto-stop.
« Putain ! Malo, des phares ! »
Un trente-cinq-tonnes naze bourré de gallinacés vivants freine à mort ! Pas des flics, les poulets ! Des cocottes, des vraies, avec des poussins sous le cul … « Cut ! cut ! cut ! cut ! »
Ça caquète à l’arrière, ça glousse, ça cocoricote à fond les ballons.
Je m’avance.
- Tu vas où, comme ça, dans ton petit futal fluo ? me lance, le gros bras moustaché au volant.
- Direction Folies Bergère et ses jolies poulettes !
- Des poulettes, mon gars, j’en ai des chiées dans le semi ! Tu veux quoi là-bas, à Paname ?
- Etre pété de thunes !
Malo, mon copain de virée, caché derrière un arbre, ramasse son sac à dos, et nous montons sur la banquette à côté du chauffeur.
Dix heures plus tard, par curiosité, sans doute, Malo et moi nous écoutions aux portes. Aux portes de Paris. Porte d’Orléans d’abord, quelques autres ensuite. Et, un peu avant le JT de 20 heures, en entendant une chanson venue de l’autre bout du bistro où nous étions, je dis à Malo : « Sylvie Vartan, c’est un juke-box ; tu lui mets une pièce dans la fente, et t’as deux minutes trente-cinq de bonheur ! »
Ça se passait « Au Balto », rue Godot de Mauroy, où nous prenions un beaujolais une heure avant le début du spectacle des Beatles et de Trini Lopez à l’Olympia. A cette époque-là, je voulais faire « connu », et « célèbre », puis, dans la foulée, « vedette ». Et star, pourquoi pas ? Avec plein de fric dans les poches. Etre pété de thunes.
L’endroit était plein de jeunots qui, comme nous, en buvant un coup ou en grignotant un croque ou une francfort moutarde, attendaient l’heure d’ouverture des portes du music-hall. En prononçant cette phrase, « Sylvie Vartan, c’est un juke-box… » j’avais dit « deux minutes trente-cinq » (de bonheur), comme j’aurais balancé huit minutes onze, ou cinquante-neuf secondes. Ou même trois heures soixante dix-huit. A côté de nous pérorait un petit groupe de trois ou quatre jeunes types. Des pros du show-biz, sans doute. Paraissaient s’y connaître. D’après ce que je saisissais de leurs propos, ils devaient appartenir au « métier » : « J’ai placé deux titres à Richard … un à Johnny … on enregistre jeudi … Sylvie m’a promis que…» Et, quand on sait que trois ans après Vartan enregistrera « 2’35 de bonheur », je me dis que je suis peut-être à l’origine de cette guimauve si, par inadvertance, en m’écoutant, le type d’à-côté m’a piqué l’idée : J’écoute un disque de toi, ça fait 2’35 de bonheur, et ça me donne quand tu n’es pas là, un petit peu de joie dans le coeur. Cheveux coupés ras, faciès à régler les contentieux difficiles, un traîne-mégot s’était emparé du juke-box dans la minute suivante et, avec sa piécette, il avait lancé un 45-tours qui, en roulant à la verticale comme une roue de bicyclette faisait, en vibrant dans les oreilles : I want to hold your hand … Un disque des Beatles. Les « quatre » passaient en seconde partie du programme que nous allions voir et entendre. Après Pierre Vassiliu, qui débitait des gauloiseries désopilantes, se succédaient plusieurs attractions, et Trini Lopez. Entracte : bonbons, esquimaux, chocolats glacés. Puis, en seconde partie, Sylvie Vartan, un magicien … et les Beatles.
J’avais jamais vu un juke-box d’aussi près. Celui du Balto brillait joli et lançait des étincelles comme une machine à café italienne, avec plein de chromes dessus et de petites lumières à l’intérieur. Juke-box, chansons en conserve. Pour consommer, simple question d’ouvre-boîte. Deux thunes dans le bastringue, et en avant la zizique ! Juke-box, avaleur de 45-tours, machine à son des rock stars, le Six symbol, celui des années Six, les Sixties, comme on dit, années Soixante, décennie ô combien prodigieuse et hautement symbolique de la libération des mœurs. Cinq ans plus tard, serrés l’un contre l’autre - face à fesses, et vice-versa -, Gainsbourg et Birkin chanteront ensemble « 69, année érotique ». De l’or en barre. Sacré Gainsbarre ! La presse relatait le pèlerinage de Paul VI en Terre Sainte, parlait d’un immeuble HLM en construction effondré boulevard Lefebvre, de la première expérience américano-soviétique - à savoir le lancement d’un satellite par la NASA exploité en commun - et, surtout, les magazines faisaient leur « une » sur Ranger VI, en partance vers la lune. Côté politique, ça déménageait aussi : Khrouchtchev destitué, Johnson élu Président à Washington, intervention des USA au Viêt Nam… Pendant ce temps, entre deux ruts avec son petit copain, Andy Warhol peignait ses Marilyn en acrylique…
Z’étions à l’heure bleue de l’apéro. D’ailleurs, tout semblait bleu dans cet endroit, contrairement à la Nature où, si on observe bien, le bleu parfait n’existe pas. C’est toujours du bleu avec des nuages, ou du bleu avec un bateau dessus. Fumées. Odeurs de tabac froid, d’eau de javel et d’alcools mêlées. L’endroit folklorisait « ancien ». Dans leur dix-litres-cuisine-salle-de-bain, un couple de poissons rouges tournait en rond. « Ces deux-là, je fais à Malo, s’ils ont des gosses plus tard, leur faudra un quinze ou vingt-litres minimum ». Des bulles montaient à la surface de l’aquarium, comme dans une coupe de Veuve. Sûrement pour égayer et faire moderne, on avait exposé une collection de scoubidous et de porte-clés dans un cadre, avec un lustre décoré de papier tue-mouche indigo. Arc-boutés au baby, deux accros de « onze » se rejouaient « Stade de Reims-Sochaux » de la veille. Appuyés au bar comme des tuteurs sous un pommier, coude branché au zinc pareil à une lampe de chevet à la prise électrique, des habitués tchatchaient avec le boss. Teint jaune, cirrhose dans le verre, peut-être buvaient-ils leur retraite avec un peu d’avance … En considérant ces jeunes particulièrement bruyants je sentais que quelque chose de morose sourdait en eux. Tristesse de l’époque. Ils avalaient leur remontant, idem quand on attend un train au buffet de la gare. En regardant ailleurs. Au milieu, basse du cul, mais haute en couleurs, une poivre et sel au nez crochu vidait son verre comme on vide son sac. Sans trop réfléchir. Gauloise serrée entre deux doigts jaunis, voix cassée, elle lança à la cantonade : « Tout le pognon de ceux qui gagnent à la loterie, on devrait le redistribuer à ceux qui perdent toujours. Serait plus juste ». Entre un calendrier Cinzano et le percolateur, le patron du bar tchatchait avec un serre-frein à casquette. Il se vantait qu’en 54, dans les Aurès, il avait été caporal-chef dans le premier bataillon de la 25e division aéroportée. Mais, hélas, qu’il n’en était pas revenu intact. « Tu vois, connard, répliqua alors un petit frisé au teint gris, si, en Algérie, vous, les Français, vous nous aviez vendu des Philips Shave électriques, on vous aurait jamais tranché les couilles ! » Il lookait un peu gros, le patron, et sans doute un peu gras. Moustaches en guidon de Harley, il ressemblait à un animal qui enterre ses crottes. Et plutôt chaud, côté tirage, à en croire la façon dont il matait deux lolitas aux jambes fines, qui commandaient un Coca avec paille. « Les chiennes ! » Un vrai beauf, j’étais sûr. Verres ronds sur le pif, coiffée façon choucroute, la caissière m’émerveillait par les automatismes de ses gestes pour crocheter les espèces sonnantes qu’on lui apportait dans une assiette à soupe : et 1, par ici la monnaie ! et 2, pianotage des osselets sur calculette mécanique, et 3, un coup de gnole derrière la gargamelle, et 4, cascadage des picaillons dans le tiroir-caisse - glîng glâng glông ! -. Tout ça dans l’ordre, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. A un moment, je m’étais approché d’elle pour faire de la monnaie ; elle sentait le homard à la marée montante, comme on entend la mer dans un gros bigorneau. Des jeunes sortaient, d’autres entraient, billets du spectacle en main. Dans un coin, le flipper crachait ses cliquetis. La bête me sciait les nerfs en long, comme cette radio qui se superposait au son du juke-box, dans laquelle un rescapé des années cinquante modulait une guimauve amour-toujours. Un vieux ! Moi, je voulais killer le music-hall à papa en réduisant encore la date de fraîcheur et, en devenant le nobel de la provoc, inventer un concept fédérateur genre mainstream. Mais ce jour-là, si on s’en jetait quelques-uns derrière la cravate, nous avions une excuse. Moi, surtout. Je voulais être number one au cash-box, et on arrosait mes débuts dans le show biz à Paris, qu’en quelque sorte nous allions sanctifier à l’Olympia.
Je connaissais Malo Montignac depuis notre plus tendre enfance.
A cette époque-là, mes parents laissaient toujours une petite lumière allumée dans ma chambre, lorsqu’ils me mettaient au lit. Car j’avais peur du noir. Celui qui habitait en face de chez nous. Un Gabonais à grosses lèvres et petits yeux cruels.
Quant à Malo, il a longtemps été plus précoce que moi. « Quand j’étais petit, me disait-il, ma mère était très occupée. Aussi, à l’âge de trois semaines, j’étais le seul bébé au monde capable de changer ses couches lui-même.
Mes parents habitaient un immeuble collectif de deux étages place du 22 Septembre, non loin de la maison des Montignac et du stade. Nous avions été dans les petites classes ensemble, Malo et moi, puis en sixième au lycée Ingres, profondément résignés à l’accomplissement de notre destin respectif. Le reste du temps, j’allais souvent chez Malo, plus qu’il ne venait chez nous. C’était plus cossu chez lui. Bordée des opulentes lueurs de la maturité, sa mère était une belle femme au décolleté prospère (on aurait dit un tiroir grand ouvert), de nature à émoustiller l’ado que j’étais devenu. Un jour - j’étais seul avec elle en attendant Malo -, elle me roule une pelle ! Et je découvre que regarder une femme, c’est de la physique, et l’embrasser sur la bouche en mettant la langue, c’est de la chimie. J’aimais sa voix douce, son rire délicat, le bruissement de ses robes - comme si elle dansait en se déplaçant -, et le parfum de verveine des sables de ses cheveux. Elle sentait la fleur d’oranger. Son mari, André, accro de cow-boyeries, collectionnait les livres et les revues qui parlaient d’Amérique. Dans son bureau, il y avait un juke-box qui ne diffusait que des disques de country. L’ancienne garde, les Jimmie Rogers, Hank Snow and his rainbow ranch boys, Elton Britt, Milton Brown, et beaucoup d’autres.