PEREGRINATIONS SUR LES VOIES DE L'EURASIE
pérégrinations SUR LES VOIES DE L'EURASIE est une autobiographie de Françoise et Paul MIRABILE. Une vie de voyages. La vie comme un voyage.
Liminaire
Octobre 2015, Istanbul. Les Artisans de Paix viennent en pèlerinage rencontrer des personnalités religieuses chrétiennes, juives, musulmanes. Dans la toile qu'ils aspirent à tisser autour du monde afin d'inciter les esprits à porter leur regard au-delà de leurs chapelles pour s'engager dans une écoute, une rencontre avec des croyants de diverses confessions, dans cet espace mental, Istanbul occupe une position géographique (entre Orient et Occident) et historique (capitale du premier empire chrétien, Constantinople, puis de l’empire ottoman sous le nom d’Istanbul pendant six siècles) unique. La diversité du paysage religieux, si elle tend à s'y amenuiser, reste encore étonnante, à l'image de sa sœur Jérusalem, autre et premier haut lieu du paysage interreligieux.
A Istanbul, je compte douze années de ma vie, en divers séjours, distants de plusieurs années (1987-1992, 2005-2006 et 2011-2017). Ce que j'y ai découvert, le cherchais-je déjà, ou le hasard du voyage a-t-il dessiné un horizon nouveau qui a peu à peu donné sens à ma vie ?
Toujours est-il qu'en 2015, apprenant par un ami juif la venue des Artisans de Paix, je pris l'initiative de les rencontrer. Je fus étonnée par leur ouverture, l'immédiateté du dialogue qui s'établit entre nous. Paula, Présidente de l'Association, a une qualité rare, l'écoute. Elle écoute, rebondit, discerne vite les qualités des personnes rencontrées. Elle entend ce que transmet l'autre de son intériorité, évalue l'adéquation de la démarche à son projet, et propose. Habituée à cheminer en solitaire, il me faudra plusieurs mois de réflexion avant de confirmer le désir d'engagement ressenti dès la rencontre.
Pendant la semaine que dura le séjour des Artisans de Paix à Istanbul, au fil des rencontres quotidiennes, je me sentis comblée. Il me semblait que j'avais enfin trouvé ma maison spirituelle. J'accueillais la prière que chaque tradition offrait en partage, la recherche intellectuelle et théologique, les rencontres, le dialogue, la mystique et le souci du beau qui habitent le projet.
Pour moi, l'aventure avait commencé il y a bien des années. Très jeune, je m'étais posé la question de la place que j'avais à occuper en ce monde : depuis toujours m'habitait le désir de sortir de la maison familiale, d'échapper au projet parental qui ne m'offrait que la continuité de la tradition familiale quand je me sentais poussée par un désir d’aller plus loin, vers d’autres rives. J'aspirais à me découvrir moi-même, par les livres, par la foi, par les voyages. Rien ne me prédisposait à réaliser mes rêves, mais j'allais les réaliser, et tracer un chemin bien au-delà. Ces rêves furent l'aile qui me porta dans le souffle de l'Esprit que tout mon être aspirait à rencontrer. L'Église, par la puissance de ses textes, la sainteté de sa liturgie, la bienveillance de ses religieux, dans un premier temps ouvrit mon horizon. Je fus saisie par les paraboles que racontait Jésus : la femme adultère qu'il ne condamnait pas, le fils prodigue accueilli par son père sans un reproche, le bon grain et l'ivraie qu'il fallait se garder de trier prématurément. Toutes mettaient en place une autre logique que la rétribution comptable. Elles présentaient des personnages bien différents et renversaient la seule morale qu’on m’avait enseignée par la tendresse de l'Amour divin ; ce Dieu que l'on identifie parfois rapidement à un juge administrant une sanction, par un regard relevait le pécheur et régénérait sa force de vie. Au lieu de l'enfermer dans une quelconque prison de pierre, ou de culpabilité, de dette, il lui communiquait la joie d'être pardonné, de pouvoir reprendre le chemin, le cœur et l'âme blanchis de toute faute : « Va, ne pèche plus », dit Jésus à la samaritaine. « Va », comme Dieu avait dit à Abraham « Va, va, quitte ton pays... ». J'ai toujours entendu la Parole divine comme une invitation à sortir de moi-même, à aller au-delà des limites naturelles fixées par l'environnement. C'est cette possibilité de transformation qui fut le premier appel. C'est cette Bonne Nouvelle qui parvint à mes oreilles : nous n'étions pas prisonniers de nous-mêmes, l'avenir s'ouvrait devant chacun de nous pour nous offrir l'occasion de travailler à notre devenir. Quel était Celui qui faisait preuve de tant de générosité ? De Lui, j'étais déjà énamourée.
Dans la France de la méritocratie, c'est l'université qui se présenta à moi comme un deuxième chemin : la philosophie, la littérature m'ouvraient des voies de constructions mentales, jeux d'esprit et plaisirs esthétiques, qui recelaient de riches enseignements que je tentais de concilier avec mon aspiration spirituelle.