LES ANNEES 50 - Robert PICO
Les années 50 est un livre de Robert PICO.
"Une mine de souvenirs, traités avec style et sens du détail"
La dépêche du Midi
"Tous les thèmes de cette période faite de liberté, d’attente, de lendemains éclatants et pleins d’espoir, sont bel et bien présents. Dans une écriture sans concession, poétique et rythmée – le Jazz est là – Robert Pico nous montre tout le panel de son talent à l’état brut. Un bijou pour qui aime la littérature, le cinéma, l’art sous toutes ses formes."
PUTCH Magazine
Les années 50 ! Début des 30 glorieuses et vie éblouissante. Dans
cette véritable encyclopédie d’une période fascinante, Robert Pico
évoque bien des figures...
LES PREMIERES PAGES DE LES ANNEES 50 :
INTRODUCTION
Au début des années 50, nous étions jeunes, très jeunes ; si jeunes « que beaucoup d’entre nous n’étaient pas encore nés » ! À la maison, il fallait faire la vaisselle après chaque repas (pas de produits nettoyants, pas de machine à laver), il fallait frotter, balayer le sol avec un balai de paille, laver ses chaussettes dans le lavabo avec du savon que nous fabriquions nous-mêmes. On manquait de tout, ou presque ; nous ne le savions pas encore. Nous étions maigres comme des jeunes loups, mais nous avons réussi à survivre. Et pourtant ! Dans ces années-là, pour nous, les mômes, il n’y avait pas de ceintures de sécurité dans la deuch’ à Papa, pas d’airbag non plus. Ni de clim, évidemment, ni de GPS. Quand nous montions à vélo, nous n’avions ni casque, ni protection pour les coudes et les genoux. Nos parents ne portaient pas plainte contre le maire parce qu’il y avait un nid de poule dans le goudron. Après quelques bons gadins, nous avions compris, et nous faisions attention. On buvait de l’eau du robinet là où on se trouvait. On sortait pour jouer avec les copains, à la seule condition de rentrer à l’heure du repas. Personne ne nous avait dit qu’il y a dans les rues des villes et des villages de vilains messieurs qui emportent les enfants dans leur automobile, et qui baissent leur pantalon devant eux. Nous jouions aux gendarmes et aux voleurs, on faisait péter des pétards, mais nous ne les fumions pas. On s’amusait avec des bâtons, des bouts de ficelle et du carton, on jouait aux billes, aux osselets, à saute-mouton, à cache-cache dans les caves et les greniers, au rugby avec une gourde remplie de sable à moitié, au ballon-prisonnier et aux petites autos confectionnées avec des caisses posées sur des roulements à bille qui ne respectaient pas les normes CE ou AFNOR. Nous ne faisions jamais brûler des voitures. Au temps du formica veiné, nous n’avions pas de Play Station, de MP3, de Nitendo, d’Xbox, d’Iphone, d’Ipad, de tablette (même pas en chocolat), de jeux vidéo, 450 chaînes de TV à notre disposition, de vidéograveur, de scanner, de laser, d’home-cinéma, d’ordinateur perso, d’internet, d’emails, de SMS ; Google n’existait pas, ni Tweeter, pas plus que Facebook pour avoir trois mille « amis » d’un coup. Nous cheminions à l’école à pied pour apprendre, et non pour développer notre « potentiel de créativité ». Notre « portable », c’était le cartable en carton renforcé qui nous mâchait les reins. Lorsqu’on ne travaillait pas assez ou quand on chahutait en classe, l’instit nous donnait des coups de règle sur les doigts ou nous envoyait chez le dirlo avec, souvent, un coup de pied au cul. Nos parents ne portaient jamais plainte, car ils savaient qu’on l’avait mérité. Ceux qui ne voulaient pas étudier partaient en apprentissage, mais ce n’était pas une sanction. Les banques n’avaient pas encore compris (comme de nos jours) qu’elles pouvaient nous arnaquer en nous taxant sur maintes opérations … tordues ! Nous faisions l’expérience de la liberté, des succès, des échecs et des responsabilités. Nous apprenions à nous débrouiller seuls. A cette époque-là, on savait prendre son temps. On s’engageait dans un boulot pour la vie. On ne se suicidait pas au travail. Dans les fifties, entre le grand-père et le petit-fils, le savoir-faire ne changeait guère. Aujourd’hui, le père n’a plus grand-chose à apprendre à ses enfants. Ce serait même le contraire. Aujourd’hui la transmission n’est plus garantie. Tout est précaire. L’accélération du monde touche notre capacité à comprendre notre époque en profondeur, et devient une forme inédite de totalitarisme, affectant toutes les sphères de l’existence, tous les segments de la société, jusqu’à affecter gravement notre soi et notre réflexion. Que faut-il entendre par « les années Fifties » ? Ce qu’on appelle par commodité les « années 50 », couvre en réalité la période qui s’ouvre en 1945 avec la capitulation du III ème Reich, notamment quand l’Adolf se suicide dans son nid d’aigle de Berchtesgaden (aux pieds de son épouse, Eva Braun, qui portait des bas fins comme une fumée d’encens), et qui s’achève à l’orée des Sixties. Des années 40, il ne restera pour beaucoup qu’un ressenti de fin de siècle, comme des années fœtus … Les malheurs de la France réclamaient des victimes ; on pouvait souhaiter que ces victimes fussent plus souvent des dénonciateurs que des écrivains. Il n’en a pas été question. Le nouveau régime avait besoin d’espions, il n’entendait pas de s’en priver. Mais, pour simplifier, le propos de ce livre s’en tient à ce qui s’est passé entre le 1 janvier 1950 et le 31 décembre 1959. Il est remarquable de constater que les années 20, en Allemagne, et les années 50, en France en particulier, ont, malgré leurs différences, bien des points communs. Toutes deux sont à considérer comme des périodes marquées par l’immense bouleversement matériel, politique et social provoqué par deux guerres. En somme, ce sont deux périodes « d’après-guerre ». Le contexte politique mouvementé de l’époque a largement conditionné les tendances de la vie culturelle. En Europe essentiellement, le nazisme et les conflits ont brutalement stoppé des avancées dans les arts figuratifs, la littérature, la musique, le théâtre et l’architecture.
Petit retour en arrière indispensable avant d’entrer de plain-pied dans les années 50. La Libération avait fait naître une courte période d’euphorie et d’illusions lyriques. 1945 avait révélé le corps bouleversé de la France, avait dit de Gaulle. 1946 ouvre la parenthèse mythologique des années 50, si mouvementées, si dangereuses, si tragiques, mais aussi si opulentes et si triomphantes qu’on se souvient d’elles comme l’une des décennies les plus singulières de l’Histoire de Français. La guerre a laissé derrière elle des populations paupérisées, des villes en ruine, des conditions sanitaires déplorables, un ravitaillement défaillant. Le temps n’est plus à mesurer les saccages, mais d’en appréhender l’ampleur. Pourtant, au désarroi du moment répond une appétence gourmande et une exigence de printemps immédiats. Puisé dans l’instinct de survie, un optimisme démesuré s’est emparé des Français. Ils nettoient, grattent, poussent les gravats, évacuent les décombres, comme pour effacer les stigmates du malheur et de la honte. Un peu comme si chacun prenait tout seul en charge le relèvement du pays. On répare, on reconstruit, on élève avec une allégresse que la France n’avait jamais connue. Le pays n’est plus qu’un immense chantier. A l’endormissement de l’Occupation succède la fièvre du redressement. On se remet à faire l’amour, et beaucoup d’enfants vont naître. Presque 3 par femme. Ces naissances font écho aux nombreux mariages qui résultent du retour des hommes. Elles procèdent aussi de la foi en un avenir meilleur, mais aussi de la politique nataliste du gouvernement de Vichy. Mais les mois douloureux que les Français viennent de « survivre » ne se liquident pas aussi facilement qu’ils le voudraient. A chaque moment le passé leur saute aux yeux. L’exaspération née de l’Occupation n’est pas apaisée. On juge, on condamne, on enferme. On se venge … On exécute aussi, souvent de manière sauvage. Dans tous les milieux, dans chaque quartier, dans chaque immeuble on règle des comptes. Le pays attend du présent qu’il lui fasse oublier ce passé récent. Qui veut vraiment se souvenir dans les flons-flons des « 6-jours » du Vél-d’hiv que furent parqués ici des milliers de Juifs en partance vers les camps de la mort ? Le 20 janvier 46, le libérateur mythique, l’homme du 18 juin, l’homme qui a dit « Non ! » - de Gaulle -, a démissionné du Gouvernement provisoire de la République, harcelé par l’opposition socialiste et communiste à propos de son projet de nouvelle Constitution. En leur tournant le dos, il avait mis les partis politiques au pied du mur, en espérant peut-être qu’ils le retiendraient ou qu’ils viendraient le chercher rapidement. Félix Goin – homme fallot – est désigné pour présider le Conseil. Lui succèderont Georges Bidault et Léon Blum jusqu’en 47. Jusqu’à la fin des années 50, la France sera à l’image de ces républiques bananières où l’armée s’affranchit du politique et pèse sur les gouvernements avant de prendre leur place. Le monde, désormais partagé entre deux blocs, va apprendre à vivre avec, au-dessus de lui, un nouveau danger. Silencieux pendant quelques mois, de Gaulle sort du bois le 16 juin 46 et prononce un discours fondateur qui marque son retour en politique : « C’est du chef de l’État que doit procéder le pouvoir exécutif ». La Constitution est acceptée mollement par les Français. La 4 ème République est née. Les villes se peuplent au détriment des campagnes. Début de la guerre d’Indochine. Âtre des veillées d’autrefois, la radio s’appelle la TSF. On la regarde en famille, autant qu’on l’écoute. 1947, Vincent Auriol est élu Président de la République. Presque aussitôt, le pays souffre de pénurie, de tensions sociales. Son économie est blessée. Les USA proposent un plan d’assistance aux pays européens ; mais s’il s’agit de les aider à se relever, le Plan Marshall vise en premier lieu à endiguer l’influence soviétique. Les pays bénéficiaires deviennent les obligés de l’Amérique. Cependant, les Français ont le sentiment que rien ne bouge concrètement. Le mécontentement gagne la rue. Les ouvriers de Renault se mettent en grève. Paul Ramadier devient président du Conseil. La répression contre les soulèvements insurrectionnels est dirigée par Jules Moch, ministre de l’intérieur. Les communistes quittent le gouvernement. De Gaulle durcit ses discours et crée le Rassemblement du Peuple Français. Les Français souffrent. Nombreux attentats. La boxe exprime l’esprit du temps. Marcel Cerdan devient un héros national en devenant champion du monde en battant Tony Zale par KO technique. Quelques mois plus tard, 16 juin 49, blessé à l’épaule, il laisse sa couronne à Jack La Motta. En prenant le vol Paris-New York pour la revanche, l’avion de Cerdan s’écrase sur l’archipel des Açores dans la nuit du 27 au 28 octobre 49. Edith Piaf, sa compagne, est terrassée de douleur. Le fond de l’air est maintenant totalement nucléaire. À la bombe atomique américaine répond son équivalent soviétique. La guerre froide est enclenchée. Oublié le temps où Américains et Soviétiques étaient alliés à la vie à la mort contre le nazisme. Alarmés par la prise de pouvoir communiste et le blocus de Berlin par l’armée rouge, la plupart des pays de l’Est, États-Unis, Canada, dix pays européens, dont la France, s’associent pour contenir une possible agression soviétique. C’est dans un climat de peur qu’est fondé, le 24 août 1949 à Washington l’Organisation de l’Atlantique Nord, qui prévoit la France dans son dispositif militaire. Eisenhower est nommé commandant suprême des forces de l’OTAN. Le général Juin reçoit le commandement du Centre Europe. Ce dispositif déclenche l’hostilité de de Gaulle, selon qui l’intégration de la France la subordonne aux États-Unis. Il en conteste l’efficacité face à la menace soviétique. Dans un discours, il proclame : Devant le péril qui nous guette, là-bas, dans les plaines slaves, et ici, au cœur du pays, ce péril est tel que nous ne pourrons pas assurer notre avenir par une simple technique, qu’elle soit plus ou moins habile ; il faut que soient remplies certaines conditions qui s’appellent l’unité nationale, la sécurité du territoire et l’organisation de l’Europe, toutes conditions que le régime tel qu’il est incapable de réaliser. Les Français sont mis en demeure de choisir leur camp. On est anti-soviétique ou anti-américain. Tout est bon pour dénigrer le camp d’en face. L’appareil de propagande du parti communiste est présent jusqu’au fin fond du pays. Frédéric Joliot-Curie lance le comité mondial des partisans de la paix. Il fait circuler une pétition, « L’Appel de Stockholm », exigeant l’interdiction immédiate de l’arme atomique. Plus de trois millions de signatures sont recueillies en France, anonymes et célébrités comme Simone Signoret, Yves Montand et Picasso, qui dessine la colombe de la paix. Pour Sartre, un anti-communiste est un chien ! En écho, Raymond Aron, derrière lequel les intellectuels anti-marxistes se sont regroupés, lance : Nous sommes aux frontières de la mort atomique et de l’esclavage sibérien ! Saint-Germain des prés s’est donné un prince facétieux, Boris Vian, et une muse, Juliette Gréco. Au Tabou on danse le be-bop, et Vian souffle dans sa trompinette. Au Blue Note, rue d’Artois, on vibre de plaisir avec Bud Powell, Kenny Clarke, Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Milt Jackson et beaucoup d’autres. Mais dans le reste du pays, c’est l’accordéon qui fait chanter la France. Le 17 juin, aux législatives, de Gaulle et les communistes sont dans la ligne de mire du gouvernement en place. Pour les éliminer électoralement, les partis au pouvoir imaginent un mode de scrutin dit « des apparentements ». Un beau grenouillage qui s’avère payant ; mais pas longtemps, car, par effet de boomerang, sort des urnes une assemblée nationale ingouvernable. De Gaulle se retire dans le havre d’un guerrier à Colombey-les-deux-églises, dans une bâtisse bourgeoise sans charme, confortable, certes, mais sans luxe, dans un parc ordonné sans ostentation, décor d’un songe gothique à la Péguy brodé autour d’une idéalisation de la France. René Pleven devient Président du Conseil. D’emblée, il doit affronter la guerre de l’école libre. L’État doit-il subventionner les écoles confessionnelles ? Les Français sont divisés entre ceux qui le refusent au nom de la laïcité et ceux qui y sont favorables au nom du droit des parents de donner à leurs enfants l’éducation de leur choix. 28 mai 1952. Symbole des tensions qui agitent la vie politique française, le parti communiste organise une manifestation à l’occasion de la venue à Paris du général américain Ridgway, surnommé « La peste », soupçonné d’avoir utilisé des armes bactériologiques en Corée. Au terme de violentes échauffourées, un manifestant est tué. Jacques Duclos est arrêté dans son Hotskitch noire. Sur la banquette on trouve une matraque, un 7.65 et deux pigeons voyageurs destinés, bien sûr, à transmettre des messages. Duclos reste six semaines en prison. 6 mars 1953, Staline vomit sa vie. D’aucuns diraient qu’il la dégueule. Transports, télécommunications, énergie constituent le socle de la modernisation et du redressement planifiés par l’État. Les locomotives s’électrifient. L’aviation commerciale possède le plus long réseau du monde, parcourant cinq fois plus de kilomètres qu’avant la guerre. La marine marchande est de nouveau présente avec orgueil. Les postes et télécommunication se développent. Sur le plan de l’électricité, des travaux gigantesques sont entrepris pour édifier de nouvelles centrales. Le Président Auriol inaugure le barrage de Donzère-Mondragon. Le commissariat à l’énergie atomique lance les premières études d’un programme d’énergie pour les vingt ans à venir. L’avion Mystère 2 franchit le mur du son au moment même où la courbe industrielle atteint son plus haut niveau dans l’histoire économique du pays. Le gouvernement provisoire de la République française établit le Premier rapport du Commissaire général du Conseil du « Plan ». Le « Plan » consiste à associer à la reconstruction une modernisation dirigiste où l’État contrôle, mais laisse sa part d’initiative au libéralisme. L’appareil d’état lui-même se transforme avec l’arrivée d’élèves des premières générations de l’École nationale de l’administration (l’ENA), chargé de le moderniser. La croissance est lancée. On compte moins de 50.000 chômeurs. Les Français sont de plain-pied dans les Trente glorieuses. Jamais une génération n’a connu une telle transformation. On ne gagne plus sa croûte, mais son bifteck. Les Français découvrent l’abondance et la consommation. À l’instar des États-Unis, on prend l’habitude d’acheter à crédit. Les appareils ménagers investissent les intérieurs. Posséder un frigo est non seulement accéder au confort, mais aussi montrer qu’on a gravi un échelon dans l’échelle sociale. Un nouveau regard sur les femmes et les enfants va bouleverser les rapports dans les familles. Bonheur et plaisir ne se vivent plus comme avant la guerre. Une automobile pour tous annonce une réponse archaïque aux deux aspirations de l’homme, partir, et revenir. Particulièrement en période de vacances.