Selon la Tradition, les étapes du Grand Œuvre d'alchimie se trouveraient gravées sur les murs de certaines cathédrales, en des fresques discrètes accessibles à tous, mais ayant un sens caché, compréhensible aux seuls initiés, et aux "quêteurs d'absolu".
Ce qui avait fait dire à Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris :
"Comme la Vierge Marie miséricordieuse étend son bleu manteau pour accueillir ses enfants, la cathédrale s'ouvre à tous pour offrir généreusement l'abrégé le plus satisfaisant de la Science Hermétique."
Les alchimistes au Moyen Âge se rencontraient sur le parvis de Notre-Dame le jour de saturne (samedi), soit au grand porche, soit au portail Sainte-Anne devant la statue de Saint-Marcel, soit à la grande porte rouge de la rue du cloître Notre-Dame, décorée d'étranges salamandres...
Dans ce roman, l'auteur nous emmène à la rencontre d'un maître d’œuvre qui fut, dit-on, l'architecte de la Tour Saint-Jacques à Paris, et qui fut initié à l'Art Royal par un bien curieux vieillard qui lui donna un grimoire au cœur d'un secret détenu par les membres d'une mystérieuses confrérie : Les Frères de la Rose.
Spécialiste du compagnonnage et des Traditions hermétiques occidentales, auteur de très nombreux livres et articles, Jean-François Blondel signe là son premier roman étayé sur de nombreux documents historiques.
LES PREMIERES PAGES DE LE GRIMOIRE DU JOUR DE SATURNE :
PROLOGUE
L’année 1523 à Paris vit l’achèvement de la Tour Saint-Jacques, nouveau clocher de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie, dont l’ancien, élevé au XIII siècle, menaçait ruine. Commencé en 1509, quatorze années seront nécessaires pour construire l’édifice qui, du haut de ses cinquante deux mètres, domine Paris et le quartier des Halles. Près de l’église s’élèvent encore les étaux des bouchers et les bâtiments de l’hôpital de la grande confrérie de Saint Jacques de Compostelle. Saint-Jacques-la-Boucherie avait été la paroisse de Nicolas Flamel, le fameux alchimiste parisien, disparu cent ans plus tôt, qui en avait été un généreux donateur ; on pouvait d’ailleurs voir la sépulture et l’énigmatique pierre tombale à l’intérieur de l’église, démolie à la Révolution.
C’est le jour de l’inauguration tant attendu. La foule vient nombreuse, c’est un jour de fête, on se presse pour voir l’inauguration du nouveau monument.
Le maître d’œuvre ainsi que les notables monteront en haut de la Tour, jusqu’à la plate forme où, selon Victor Hugo, on peut découvrir « ces quatre monstres qui, perchés aux encoignures de son toit, ont l’air de quatre sphinx qui donnent à deviner au nouveau Paris, l’énigme de l’ancien » ; tandis que la gigantesque statue de Saint Jacques le Majeur s’élève plus haut encore, et semble indiquer du regard, aux Parisiens, la route de Compostelle…
Le maître d’œuvre, en ce jour de consécration, selon la tradition des bâtisseurs, déposera le « bouquet » au sommet de l’édifice, ce sera un bouquet de roses rouges, qu’il a lui-même choisies. Malgré ce jour exceptionnel le visage du maître parait assombri par on ne sait quelle pensée, et, une fois redescendu sur le parvis de l’église, il semble contempler son œuvre d’un air lointain et absent, alors qu’il serre contre lui une de ces roses qu’il vient de déposer au sommet de la Tour. Tous auront le sentiment que sa pensée était ailleurs !
Certains de ses ouvriers, affirmeront qu’ils le virent roder, la nuit de l’inauguration, et à une heure fort avancée, autour de la Tour, et qu’ils l’entendirent donner comme des coups de marteaux dans la pierre de l’édifice ; il semblait vouloir y déposer quelque chose, comme une sorte de coffret. Puis, quelques temps après, les bruits de marteau se sont arrêtés, et, le lendemain, le maître d’œuvre avait disparu ! On ne le revit plus jamais. Qu’est-il devenu ?
D’autres chercheront dans ses papiers, qui se trouvaient épars sur sa table de travail, à l’intérieur de la loge du chantier, ses dernières recommandations et instructions. Ils y découvriront un étrange manuscrit rempli de hiéroglyphes et de signes mystérieux, ainsi que des annotations faites par le maître ; dont d’ailleurs personne ne comprit la teneur. D’autres encore, parmi les contremaîtres et les ouvriers du chantier, proches du maître, finiront par dévoiler les dernières confidences qu’il leur fit, peu de temps avant l’inauguration. Ce dernier leur aurait avoué qu’il était depuis peu dépositaire d’un secret, d’un terrible secret difficile à porter, que lui auraient confié les membres d’une mystérieuse confrérie, rencontrée un soir très tard, sous les voûtes de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie
L’ADIEU AU VILLAGE
La famille Leprieur était en effervescence, car le petit Jehan, le fils cadet, venait d’avoir seize ans. La maison avait pris soudain un air de fête. On avait sorti les plus beaux couverts et les plus belles assiettes ; sa mère avait extrait du saloir un morceau de porc et cueilli quelques cèpes dans un de ces coins de la forêt qu’elle était seule à connaître. Son père avait remonté un tonnelet de vin du cellier, des invités devaient venir pour cette grande occasion. Ses parents n’étaient ni riches, ni pauvres. Le père était agriculteur et possédait quelques arpents de terre non loin de Limoges, dans une campagne verdoyante où l’on pouvait combiner élevage de bovins et culture des céréales. Il était secondé par le fils aîné Bertrand, âgé de vingt ans, qui se destinait à reprendre l’exploitation familiale. Il y avait aussi une fille, Jeanne, qui allait sur ses dix huit ans et qui aidait sa mère aux travaux de la maison. Son père clamait, à qui voulait l’entendre, qu’elle était bonne à marier, mais que, si elle espérait trouver un bon prétendant, il fallait qu’elle veille bien à tous les travaux ménagers, et sache tenir correctement sa maison. Que pouvait-on demander de plus à une fille, en ce dernier quart du quinzième siècle ?
Le petit Jehan n’avait pas de goût pour les travaux des champs, sauf, peut-être, lorsqu’il s’agissait de conduire les chèvres dans leur enclos. Il restait des heures à contempler la Nature, soit pour observer le vol des oiseaux, dont il connaissait les différentes espèces, soit pour cueillir des plantes médicinales qu’il allait porter chez l’apothicaire du village, en échange de quelques sous. Mais ce qu’il aimait par dessus tout, c’était la nuit venue, observer les étoiles. Il connaissait par cœur le nom des diverses constellations visibles dans son ciel, en toute saison, dès que le temps était suffisamment clair pour les observer, et il faisait à chaque fois un vœu au passage d’une étoile filante. Mais, quel était ce vœu ? Son désir secret, son souhait le plus cher, était de devenir tailleur de pierre et bâtisseur d’églises.
Cette vocation lui était venue, alors que, tout jeune garçon encore, il avait vu des tailleurs de pierre et des imagiers venir restaurer l’église de son village, qui venait de souffrir des effets d’une forte tempête. Des ardoises de la toiture, ainsi que du clocher avaient été arrachées. Mais, plus terrible encore, la statuaire avait souffert ; des gargouilles étaient tombées de la gouttière, laissant l’eau des pluies ruisseler sur les murs, tandis que des sculptures de saints étaient endommagées dans leur niche de pierre
Comme beaucoup d’enfants du village, le petit Jehan venait regarder les ouvriers à l’œuvre, intrigué qu’il était, de voir ces hommes robustes scier la pierre, l’aplanir avec leur laie ou leur têtu, lui donner forme avec leur ciseau et leur marteau. Ils semblaient la dominer, et lui donner toutes les formes qu’ils souhaitaient. L’automne étant déjà bien avancé, la froidure n’était plus très loin, mais la saison était belle, et les hommes travaillaient encore au dehors.
Les pierres parfaitement taillées étaient posées à même le sol, devant le portail de l’église.
Ce qui attirait la curiosité de Jehan, c’était de voir le sculpteur à l’œuvre.
Quelques échafaudages laissaient apercevoir un joli tympan roman avec le Christ dans une mandorle, sculpté dans une belle pierre blanche qui prenait un léger ton ocre au soleil couchant. Quelques marches permettaient d’accéder à la porte d’entrée ornée de belles ferrures qui avaient été martelées par le forgeron du village.
Pensez-donc, à partir d’un bloc monolithique, sur lequel l’imagier avait sommairement crayonné au charbon quelques contours, semblant être ceux d’un animal mythologique, jour après jour, la bête paraissait émerger de la pierre, ses formes et ses traits se précisant de plus en plus, comme si la pierre accouchait sous le ciseau du sculpteur ! Celui-ci semblait donner vie à cette masse inerte et minérale, c’était cela qui enthousiasmait le jeune garçon.
Jehan venait voir l’artiste travailler, soit seul, soit accompagné d’un camarade de son âge. Et, de ses grands yeux étonnés, il le regardait sculpter le bloc de pierre avec tout l’émerveillement de l’enfance. Un jour, il s’approcha de lui, peut être un peu trop près, et l’homme se retournant, laissa voir son visage, ses mains, ainsi que son grand tablier de peau, il était recouvert d’un épais manteau de poudre blanche.