La légende du Guerrier
Jean-Marc Savary nous offre ici un nouveau conte initiatique, parchemin d’une époque inconnue. La lecture nous restitue le souffle d’une saga norroise et l’imprévu d’une épopée irlandaise.
Edition classique
Illustrations de couverture : Sophie PELLERIN
Postface de Paul-Georges SANSONETTI
"Amateurs de légendes et de tradition guerrière,
arrêtez-vous très vite sur ce livre !"
Khimara n°12
"Absolument fantastique et incroyable
mais on s'y croit à chaque page !"
Radio Tonic
"Souffle épique, rebondissements, inaccessibles contrées, quête initiatique parsemée d'embûches et de symboles à décrypter...
Cet univers-là n'est pas sans évoquer le modèle du genre :
"Le Seigneur des Anneaux" de Tolkien."
La dépêche du Midi.
PREFACE de Paul-Georges SANSONETTI
chargé de conférences à l'école pratique des Hautes Études Sorbonne, spécialiste de la littérature comparée aux mythologies, au cinéma et aux Art graphiques, diplômé de l'École du Louvre, titulaire d'un doctorat de lettres.
Jean-Marc Savary nous offre ici un nouveau conte initiatique, parchemin d’une époque inconnue. La lecture nous restitue le souffle d’une saga norroise et l’imprévu d’une épopée irlandaise.
A la façon des récits anonymes de jadis, cette « Légende du guerrier » se veut le rappel de ce qui, dans l’ancien monde européen, constituait le plus vital d’une civilisation. Conjointement, la trame de l’histoire montre comment un monde fortement charpenté par la Tradition subit une épreuve fatidique et, du moins en apparence, ne peut échapper à l’effondrement.
Il s’agit d’une légende, nous précise l’auteur, mais chacun sait que le principe de tout légendaire consiste à recourir à des images symboliques pour traduire un concept émané de ce qui est « principiel » — au sens guénonien du terme— et qui, dans le visible et l’invisible, régit l’être et l’univers. Précisons qu’il faut entendre par « guerrier » celui portant le titre de « chevalier » dans un contexte médiéval et que l’Inde désignait comme « kshatriya ».Idéalement, dans les traditions indo-européennes comme dans l’Islam ésotérique ou, d’une façon plus récente, selon les continuateurs secrets des Toltèques, le guerrier est combattant, sans trêve, de sa propre égoïté et dont toute action dans le monde se veut restauratrice des forces de la Tradition.[1]
Le héros du récit, Lonpador, est donc un guerrier conférant au combat un sens initiatique –donc supérieur- dès lors que, de tout son être, il se voue à la régénération d’une société fondée sur la Tradition. Société unifiée par un principe magico-religieux et cultuel nommé Soltar. Par similitude phonétique, on rapprochera ce nom du luminaire diurne divinisé (Sol, chez les anciens Scandinaves, identique au Solis des Latins) et du concept de franchissement et de salvation (Tara en sanscrit), ou encore de centralité (Tara, lieu médian de l’Irlande ouo, selon la légende, fut déposée la Pierre de souveraineté.)
En s’ouvrant par la scène du banquet communiel consacré à Soltar, le récit exalte le sentiment d’harmonie régnant dans une société traditionnelle. Puis, brutalement, tout se disloque sous l’assaut extérieur à ce monde. De l’antiquité au moyen âge, ou plus tard, le mythe et l’histoire se conjoignent pour, sans cesse, revenir sur le thème d’un terre considérée comme centrale, dès lors que reflétant l’immuable idéalité de ce qui est principiel, mais menacée d’invasion par des hordes surgies d’étendues tout à la fois imprécises et périphériques. Ces territoires, ainsi que la menace armée qu’ils portent, manifestent l’état (dans tous les sens du terme) chaotique, en marge d’une nation dont la richesse majeure est précisément ce concept de centralité. La Chine ancienne s’est identifiée à cette terre du centre en la dénommant « Empire du Milieu » ; et sa célèbre muraille devait arrêter la ruée des Mongols, fils des steppes et des déserts sans fin. Semblablement, les anciens Scandinaves considéraient leur monde comme un reflet du symbolique « Midgard » (littéralement « jardin », au sens du royaume, du « milieu ») cerné, selon les récits mythologiques, de contrées aussi indéfinies que sauvages et peuplées de ténébreuses entités.
Par sa hiéro-histoire, la verte Irlande se définissait comme la terre centrale, et féconde- face à des archipels, non situables cartographiquement, figurant un monde morcelé, royaume en miettes des redoutables Fomoré. Les Grecs, fiers de leur civilisation centrée par l’appolinienne Delphes, voyaient dans les autres peuples des « barbares » ; notamment leurs ennemis Perses, mais ces derniers s’honoraient d’appartenir à l’Erân-Vêj (devenu l’Iran), le Royaume au centre du monde, lieu privilégié de la surnaturelle Lumière de Gloire… Un Royaume cependant toujours menacé d’invasion par les escadrons des féroces Touraniens qui, surgissant des confins steppiques, annoncent les chevauchées conquérantes d’Attila et de Gengis-Khan.
Le mythe essentiel d’une Puissance des ténèbres vouée à prendre corps dans les hordes guerrières et pillardes, issues de territoires dont l’immensité même est synonyme de frontières incertaines, devait inspirer au XXème siècle des auteurs tels que J.R.R Tolkien (avec « Le Seigneur des anneaux ») ou Julien Gracq (pour le rivage des Syrtes.) Dans « La légende du guerrier », le royaume de Gardar –on songe au Midgard- est envahi par les armées de Gaster. Par son nom il est donc l’hôte (gast en langue germaniqe) ; mais l’hôte indésirable, l’intrus. De plus, pareille appellation fait écho à la terre « gaste » des récits arthuriens ; terre privée de sa force vive, « désolée », désormais stérile car frappée de malédiction. L’herbe ne repousse pas là où passe l’invasion des Huns.
Gaster sera surtout celui devant qui, par terreur ou conviction de lâche, la grande majorité d’un peuple se soumet servilement. Pour paraphraser René Guénon, nous dirons que son règne est d’abord celui de la quantité. De la sorte, il incarne le pôle inverse de la Tradition. En face, le héros Lonpador, dans sa solitude d’exilé comme dans son rôle de chez rassembleur pour la reconquête, représente un esprit tout de volonté, inlassablement au service de la Tradition ou, pour le moins, d’une tradition ancestrale constituant l’armature de sa nation.
Symbole de cette exigence envers soi-même, caractérisant la lignée du héros ainsi que l’ancestralité dont cette lignée est dépositaire, l’épée du vieux chef qui, à la mort de celui-ci, demeure plantée en terre de façon surnaturelle, au point que personne ne pourra l’arracher. Comme si, ramifiées de l’acier, des racines magnétiques se vrillaient vers les profondeurs telluriques ; là où des gisements ferreux gardent intact la sidérale force émanée de Mars qui, depuis son orbe cosmique, charge le métal des guerriers et du dernier hésiodéen d’un vouloir incandescent opérant, pour les âmes d’élite, la fusion de la bravoure et de l’honneur. Pareille épée rappelle une autre lame que nul ne peut retirer d’une enclume hormis le jeune Arthur ; acte qui lui confère la royauté. Ou encore, l’épée, fichée dans un roc vermeil, qu’aucun preux de la Table Ronde n’a pouvoir de s’emparer ; jusqu’au moment où survient Galaad, le pur, à qui elle est destinée. L’arme que le sol retient mystérieusement n’appartiendra jamais à Gaster. D’autant que la verticalité de l’arme ainsi plantée semble se confondre avec l’Axe du Monde, paradigme de toute centralité. En outre, d’une façon tout aussi singulière que son immuabilité, l’épée disparaît bientôt sous une abondante végétation comme pour signifier qu’une Puissance non-humaine, en isolant cette lame des pierres d’un monde urbain, désormais voué à la déchéance, la situe désormais dans l’espace naturel, voire forestier, lieu privilégié des temples.
Après la victoire des partisans de Lonpador, annonciatrice d’une restauration des valeurs premières fondées sur l’ordre lumineux que symbolise Soltar, ‘la pax profunda » (au sens guénonien, d’harmonie entre les êtres et le cosmos, idéal de toute société traditionnelle) ne sera pas définitive. En effet, pernicieusement, une contestation de l’ordre évoqué s’insinue et grandit dans les esprits. D’où, bientôt, l’exaltation d’un individualisme forcené provoquant des rivalités sanglantes. Avec, pour conséquence, le morcellement puis la désintégration de la fraternité d’armes unissant les vainqueurs et qui, à l’instar de la Table Ronde- constitue la cohésion centrale de Gardar. A travers cette fraternité s’incarnait l’ordre solaire illuminant et vitalisant toute la société. L’abandon à l’individualiste marque le crépuscule des héros.
La destruction et les avilissements inhérents à la domination de Gaster et ses hordes préfiguraient donc la phase d’assombrissement et d’involution que doit obligatoirement traverser toute société fondée sur les valeurs de la Tradition.
Nul rajeunissement du monde, par un retour des forces principielles, n’est possible sans cette préalable phase involutive. L’action de Lonpador, portée par le vouloir du Dharma, dirait l’Inde védique, préparait en fait à ce que serait, durant ladite phase, l’incessant combat pour la Tradition et, tout au long de l’Histoire, les diverses tentatives de restauration d’une centralité.
Mais, pour Lonpador et les meilleurs des siens, c’était encore trop tôt : la restauration ne coïncidant pas avec l’âge du renouveau définitif, l’excellence de Gardar et son exemplarité de civilisation « hibernera nécessairement » comme l’annonce le héros.
Sur cette image allusive aux glaces polaires, occultant peut-être, au Groenland ou ailleurs, les vestiges d’un royaume originel (Var des Iraniens mazdéens, Hyperborée des Grecs, Findias et ses îles sœurs par les Irlandais), s’achève le récit. A nous de méditer car, si l’auteur se situe dans un passé mythique, le message qu’il sous-entend propose un regard lucide et fort sur l’Histoire humaine et principalement, prioritairement même, sur notre époque où se multiplient les convulsions d’un monde achevant de s’enfoncer dans l’enténèbrement du dernier âge.
[1] Cf. le témoignage de Carlos Castaneda et particulièrement cette phrase du vieux guerrier Yaqui : « Chercher à atteindre la perfection de l’esprit du guerrier est la seule tâche digne de notre âge d’homme » Le voyage à Ixtlan, éd. Gallimard (Paris 1996) p.151.