Carca'song
Jean-Marc Savary évoque Carcassonne qui est pour lui un blues citadin, une chanson permanente, une poésie à ciel ouvert.
VOILES
LES PREMIERES PAGES DE CARCA'SONG :
Elle froufroute son jupon de pierres, la vieille cité…
Depuis des lustres fredonne Carcassonne, en écho des hommes. Le regard, seul, donne la dimension des choses. L’œil du vivant. Alors, tu l’observes, ta ville dont l’âge moyen reste le moyen-âge. Alors, tu l’écoutes roucouler ses airs en roulant des « r ». Tu l’écoutes…
Chaque jour, tu vieillis, comme elle, mais toi tu en perds un peu de vue, un peu de vie. Goutte à goutte. C’est ainsi.
Depuis ce jour où la vie t’a lancé dans l’arène à affronter la douleur, sans panache ni spectateur, t’en perds la mâchoire et des dents. L’habit de lumière se résumant en un tablier bleu très pâle, trop court, et qui se froisse dans des lits d’hôpitaux, petits et étroits, à l’ombre des infirmières. Quand le mal te foudroie, le mirage féminin à tes côtés se tire aussitôt ! Parfum de lâcheté. Tant pis pour le mec qui se débat dans la solitude et la souffrance...
So long, man ! That’s life…
Alors restent les ruelles et rues à arpenter, humer, aimer comme une femme à découvrir avec tact et humilité. Te frotter au bitume et façades, t’étourdir de la douceur des places, jouir des lieux intimes fourmillant de rencontres, d’humanité, de fêtes ou de tristesse d’un soir…
Une ville qui te soigne l’âme et te remet en selle pour galoper dans le quotidien.
Carca’song swingue cool.
Alors oui, la Cité !
Tous la connaissent de Los Angeles à Tokyo, des contrées improbables aux puissants pays. Carcassonne, perle minérale posée au cœur d’une mythique Occitanie.
Faut nourrir l’imagerie populaire avec du rêve, de l’histoire pleine de chahuts, de sang et de bûchers. On exporte le décor et on sème les clichés…
Et cela marche ! Le touriste débarque et envahit la vénérable dame, l’appareil photo à la main, prêt à dégainer le portefeuille. Et tout le monde est content…
Formidable cécité moderne… Cela grouille de pas et de flashes pour glisser et s’égarer en zappant le présent, les lieux, la vie. Cela piétine et achète. Quelques clichés, deux bières, une épée en plastique et… good bye Carcassonne !
Qui s’égarera dans le dédale des artères pour simplement ressentir la pulsation de l’instant ? Qui s’intéressera à l’autre, l’autochtone discret ou plus exubérant, bref, celui qui forge l’identité des lieux ? Qui plongera son âme dans le bouillonnement sublime de la vie, bien loin des boutiques et des mauvaises tables ?
Pourtant, tout est à portée de curiosité, frémissant de bonheurs légers, de présents à saisir en une seconde.
Ce Carcassonne se déguste de la plus haute tour à l’ultime ruelle de la bastide… Elle envoûte et ravit. Elle s’offre, impudique, au badaud. À celui qui ose ! Ose regarder et se mettre en danger d’humanité.
Programme ambitieux…
La cité flirte sous les lampadaires avec les jardinets derrière des murs discrets… Petits paradis préservés de la horde des toutous qui se répandent et se dispersent… Autant d’îles non répertoriées sur les cartes. Autant de haltes rafraichissantes pour qui saura les dénicher.
Mais au-delà de l’élégance des pierres et du temps, s’écoule une existence protégée. Celle d’un village dans la ville. Les habitants d’entre les murailles se suffisent à eux-mêmes. Ils dominent la ville basse, les événements, se savent à l’écart d’un monde qui se débat dans la politique, les soucis, voire les guerres. Ici, règne une forme d’éternité qui se fout du quotidien. Une immuabilité rassurante et rare.
L’église Saint-Nazaire et l’Hôtel de la Cité en sont les emblèmes. L’une flanquée de gargouilles pour effrayer, l’autre imprégné d’un luxe qui sélectionne. N’entre pas qui veut. Question de foi !